Déplacements 

 

Les pièces accumulées durant le temps de la résidence de Rachel Poignant sont une collection d'accidents : ce sont des rebuts, des déchets de la machine relevés par l'artiste. Quelques lignes écrites rétrospectivement par Rachel Poignant au sujet de ses premières réalisations étonnent par leur écho avec la démarche suivies au cours de la résidence : « en amont de la production, fabriquer/suivre/observer. Déclarativement sans projet, je veux être au plus près de la chose en train de se faire ». C'est en effet cette attitude qu'a adoptée l'artiste, suivant la chaine de production et récoltant les morceaux de terre formés par la machine. A cette activité se sont ajoutés des gestes sur la matière, empruntés souvent à celui des ouvriers qui interviennent sur la chaine, des gestes techniques donc, conditionnés par la machine qui se trouvent ainsi devenir des gestes premiers d'un travail sculpturale de l'argile. Il s'ensuit que l'ensemble des réalisations forment un aller – retour entre la machine et le geste, sans que le second prennent le pas sur l'autre mais comme deux manières d'être « au plus près de la chose en train de se faire ». Si Rachel Poignant utilise le terme de « pièces » au sujet de son travail, c'est pour souligner que chaque réalisation s'inscrit dans se « faire » comme un processus, celui de la résidence bien sûr, mais aussi et plus généralement celui d'une démarche qui travaille dans un temps long.

Robert Smithson notait au sujet de l'oeuvre d'Eva Hesse que celle-ci « était très rationnelle, mais comme une lutte avec des forces irrationnelles qui la traversaient » . Comment ne pas songer à une circulation entre ces deux pôles en voyant les œuvres de Rachel Poignant réalisées durant sa résidence à la tuilerie Monier. Déposée devant nous, l'accumulation des éléments en terre prennent pour certains un aspect informe, d'autres évoquent des courbes charnelles soulignées par la dimension organique de la terre, d'autres enfin sont l'enregistrement de traces mécaniques, les empreintes précises de l'outil. Je ne suis pas sûr que le terme de « lutte », avec l'imaginaire qu'il convoque d'un territoire à conquérir, convienne le mieux pour l'oeuvre d'Eva Hesse. Je ne pense pas non plus qu'il corresponde à la démarche de Rachel Poignant où il s'agit de coexistences et de superpositions de champs, de formes, de matières, de gestes. Si Rachel Poignant souligne l'importance qu'eut pour elle l'oeuvre d'Eva Hesse, si son travail n'est pas sans relation avec celui de l'artiste américaine, à travers certaines textures et matériaux qu'elle utilise, c'est certainement dans cette circulation entre rationnel et irrationnel que se trouve une affinité plus profonde. 

Lors de la résidence, ce fut la machine qui se chargea en quelque sorte de la forme. Dans le reste de sa démarche, Rachel Poignant confie cette tâche à des moules, laissant travailler la matière en dehors de son regard. On pourrait s'étonner de la dimension très picturale des œuvres récentes que sont les bas reliefs, avec le motif de la grille mais aussi et surtout avec ces surfaces carrées qui ont une densité de couleur particulière, révélant de fines variations dans les reliefs ou sur les bords. Ces œuvres procèdent néanmoins de gestes très sculpturaux, si on considère que le travail de la matière préexiste à la surface. Si ces œuvres se situent donc entre peinture et sculpture, il serait absurde de vouloir faire correspondre ces termes avec l'opposition entre rationnel et irrationnel. Mais chacun de ces couples nous indique par contre que l'oeuvre de Rachel Poignant se situe dans un écart, dans un déplacement, opéré dans le temps long de l'atelier ou celui, plus ramassé, de la résidence.

 

 

Romain Mathieu

 

 

 

© 2017 Rachel Poignant