Cette monographie consacrée à Rachel Poignant retrace par le texte et l’image le parcours de la sculptrice, de ses années de formation à aujourd’hui, soit trois décennies d’une pratique restituée en trois temps. À travers une série d’entretiens avec Anka Ptaszkowska, critique d’art, galeriste et protagoniste des avant-gardes artistiques polonaises. Puis par une séquence iconographique restituant le travail de Rachel Poignant, des années 1990 à aujourd’hui. Enfin par un important texte critique de Jean-Patrice Courtois, poète et philosophe, qui situe l’œuvre dans l’histoire de la sculpture et analyse ses aspects centraux : reprise, forme, matière, langage, photographie. Le livre, mise en tension de ces trois parties, éclaire ce travail singulier et exigeant, d’une grande radicalité formelle, qui se développe au fil du temps par la reprise et la réinvention continuelle de ses procédés.
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« Il apparaît clairement qu’un axe fondamental de la pratique de Rachel Poignant se joue dans ce que le mot transformation désigne. Ou éventuellement dans le mot formation, ces deux mots étant employés par elle-même tour à tour. Mais le terme transformation l’emporte finalement, surtout sur le terme de processus, qui entamait la série des entretiens. Et si ce terme peut représenter le travail au long cours, c’est aussi, pas seulement mais aussi, à cause de la nature éthique de son contenu – et c’est ce qu’on voudrait faire apparaître dans ce qui suit. Repartons du travail de sculpture. Ce dont il s’agit est, au départ de son avancée, ce qui a trait aux « moulages de moulages ». C’est ainsi qu’elle le dit : « Les « moulages de moulages », c’était une manière de voir une transformation, de la vivre et d’essayer de la comprendre. Et la fabrication du moule, c’est aussi une transformation. Toujours, des étapes de travail se manifestent, avec très peu d’espace entre les choses, les choses collent les unes aux autres. ». En réalité, le mot processus ne disparaît pas et il reste présent dans le même entretien qu’on vient de citer, en 2015, celui-là même qui avalise par ailleurs le mot transformation. Rachel Poignant est réticente à perdre du matériau et les mots qui désignent son activité sont aussi un matériau sur lequel elle prend appui mentalement. Il s’agit pour elle de constituer le bouclier de termes qui entourent sa pratique et lui permet de l’exercer avec cet entour et cette protection. Du coup, c’est moins un terme qui en remplace un autre, qu’un autre usage des termes dans le rapport aux actes qu’elle effectue. Il semble alors que le terme processus — « il y avait une volonté de prendre tout ce qui arrivait, et de toujours suivre les processus » (ibid.) — conserve sa validité pour décrire le développement matériel des moulages, tandis que le terme transformation pointe vers la dimension éthique de ce travail et de cette« volonté ». La transformation veut aussi désigner une chose spécifique à partir du tout début : le premier verre en plastique, objet d’un moulage, en 1990, encore aux Beaux-Arts de Caen, autorise un « geste intermédiaire », celui de « mouler sans rendu formel ». Le jeu est donc à deux termes au moins : une déformation — « à force de déformation » dit Rachel Poignant — qui conduit à une transformation que produisent les moulages successifs. La transformation réside en ceci qu’on ne reconnaît plus l’objet initial, verre ou chaise. »
Les actes de sculpture de Rachel Poignant Jean-Patrice Courtois (extrait) |